Carte du contesté franco-brésilienHenri Coudreau

Histoire de la république de Counani (1886-1912)

Une histoire véridique, ou quand la réalité dépasse la fiction

Cette incroyable république équinoxiale située en Guyane fut fondée par l'explorateur bourguignon Jean Guigues, son ami suisse Paul Quartier et le journaliste, "géographe", Jules gros, "secrétaire d'État pour le développement de l'économie en Guyane française", avec l'appui intellectuel de Henri Coudreau, qui voyait là une occasion, non pas de donner une réalité à ses projets d’aménagement de la région mais plutôt de manifester son dépit envers l’Etat français.

Jules GrosLa République de Counani est brillamment proclamée le 23 juillet 1886 dans un déluge de nominations et honneurs, qui voient Jean Guigues devenir Président du Conseil et Paul Quartier, ministre des Travaux publics. Jules Gros (ou Gros Ier selon certaines sources) est désigné Président à vie. Mais la fonction tient de la farce. Installé à Paris, il administre son État à distance, principalement depuis les terrasses des cafés de Montmartre et de la rue Drouot et de celle du café de Madrid. Jules Gros opère également dans les parages du théâtre des Variétés et aussi de temps en temps au siège de la légation counanienne, 18, rue du Louvre.

Pousser l’invraisemblable jusqu’à l’absurde

Les pères fondateurs de la jeune république parodient les symboles d’un véritable Etat : ils inventent un drapeau, une devise (Liberté et justice), une monnaie, créent des timbres, remettent des décorations. La médaille, « l'Étoile de Counani », sera destinée à orner les poitrines officielles, méritantes ou utiles. Le but des trois compères est bien de tourner en dérision la politique coloniale de l’époque, mais pris au jeu pourquoi ne pas pousser l’idée jusqu’à l’absurde et en profiter pour vendre des titres nobiliaires ainsi que de solides actions de mines d'or plutôt fictives. Ils ont aussi également réussi à convaincre quelques investisseurs crédules des réelles possibilités offertes par les richesses naturelles de la lointaine région. À l'époque, court encore le bruit qu’il existe des terres colonisables, qui d'ailleurs appartiendraient de droit à la France depuis le traité d'Utrecht de 1713 à la frontière entre Guyane et Brésil.

Drapeau du CounaniCanular ou pas, le point fort de Jules Gros, c'est son talent de publiciste. Grâce lui le petit État devient célèbre dans toute l'Europe.... Mais des dissensions ne tardent pas à apparaître dans le gouvernement counanien. Jules Gros est obligé de mettre un peu d'ordre. Il révoque M. Petit-Jean, qui avait commandé de trop voyants costumes pour les membres du gouvernement. Mais le vrai fautif, c'était Guigues (le Président du Conseil) qui avait fait copier le costume de Murat, et prévoyait que tout le monde, avant de partir pour la Guyane, défilerait ainsi en grande tenue dans les rues de Paris ! Gros révoqua donc aussi Guigues qui pour se venger institua un gouvernement parallèle de 7 membres et se mit en tête de recruter 430 volontaire et d'acheter 2000 fusils.

Timbres du CounaniÉvidemment, le Brésil conteste l'existence de la République, d’autant que des esclaves noirs se sont enfuis du Brésil, car l’esclavage n’y est pas aboli, et se sont réfugiés dans cette région, proche de la Guyane, puisque le France avait déjà proclamé l’abolition de l’esclavage.

Mais Jules Gros poursuit son utopie et gère ses affaires. Ayant convaincu des businessmen britanniques, regroupés dans le Guiana Syndicate Ltd, d'investir dans le lointain État pour y devenir les riches propriétaires de concessions mirobolantes, Gros Ier va enfin voir sur place comment tout cela se passe. Il quitte Vanves en 1888 avec sa famille, mais son bateau reste bloqué en Guyane britannique avant d'être refoulé vers Londres. De retour en France, sans avoir été inquiété ni poursuivi pour escroquerie, Jules Gros meurt en 1891, sans avoir mis les pieds à Counani, mais amer de l’échec de ce projet auquel il avait finit par croire lui-même. Evidemment cette République fantaisiste ne sera jamais reconnue, ni par la France, ni par le Brésil.

Adolphe BrézetEt l’histoire n’est pas finie

Quelques années plus tard, en mai 1902, un autre Français, Aldophe Brezet, qui avait visité la région vers 1892, s'autoproclame « Président de l'État libre de Counani » avec le soutien de la population locale qui avait gardé une forte animosité contre l’Etat Brésilien. L'audacieux Français prend le nom de Uayana Assu « Homme grand ». Il a le temps de nommer 3 ministres (Félix Antonio de Souza, Antonio Napoleão da Costa, João Lopes Pereira) avant de se faire arrêter par un détachement de 35 policiers brésiliens. Punition : 15 jours de prison au Brésil et quelques ennuis aussi avec les tribunaux français de Guyane. Se considérant victime d’une injustice, il se déclare exilé en France. Il se fait appeler duc de Brezet et de Beaufort, vicomte de San João, tient une conférence de presse à l'automne 1902 dans un grand hôtel parisien. En 1903 une ambassade counanienne ouvre à Paris, puis à  Londres, Rome, Berlin et Madrid... En 1904, le Japon et la Russie, qui se font la guerre, demandent si les arsenaux de l'État libre de Counani ne pourraient pas fournir quelques vaisseaux. Brezet temporise jusqu'au moment où, les consulats des deux pays découvrent le pot-aux-roses. La présidence fantaisiste d’Adolphe Brezet prend fin en 1911. L'homme serait mort, ruiné, à Londres...

En savoir plus : L'histoire de Counani est racontée dans les livres de Bruno Fuligni, Les Constituants de l'Eldorado (Plein Chant, 1997) et L'Etat c'est moi (Max Chaleil, 1997).

 

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