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Par définition, une frontière c’est une limite, une ligne de séparation.
L’usage du mot a son origine dans le domaine militaire : « front d’armée », 1213 ; « frontier » (d’où ville, place frontière) en moyen français. Le sens actuel date du XVIe siècle et provient probablement de « pays de frontière » (gardé par une armée, une place forte faisant front à l’ennemi). Source : Le Robert, Tome 4, p. 741.
Le champ sémantique qui lui est associé conserve cette connotation de ligne à ne pas franchir : limite, borne, lisière, démarcation, confins…
La notion même de frontière a été l’objet de nombreuses études, recherches, polémiques du point de vue historique, mais également géopolitique, voire philosophique.
« Et pourquoi nous haïr et mettre en les races
Ces bornes ou ces eaux qu’abhorre l’œil de Dieu ?
De frontières au ciel voyons-nous quelques traces ?
Sa voûte est-elle un mur, une borne, un milieu ?
[…]
Ce ne sont plus des mers, des degrés, des rivières,
Qui bornent l’héritage entre l’humanité :
Les bornes des esprits sont leurs seules frontières. »
LAMARTINE, Alphonse de, dans Poésies diverses, Marseillaise et la paix.
« la division même du territoire habitable en nations politiquement définies est purement empirique. Elle est historiquement explicable : elle ne l’est pas organiquement, car la ligne tracée sur la carte et sur le sol qui constitue une frontière résulte d’une suite d’accidents consacrés par des traités. Dans bien des cas cette ligne fermée est bizarrement dessinée ; elle sépare des contrées qui se ressemblent, elle en réunit qui diffèrent grandement ; et elle introduit dans les relations humaines des difficultés et des complications dont la guerre qui en résulte n’est jamais une solution. » […]
VALERY, Paul, Regards sur le monde actuel. Ed. Gallimard (1931), coll. "Pléiade".
«En France, tout ce qui pèse et qui compte se veut et se dit "sans frontières". Et si le sans-frontiérisme était un leurre, une fuite, une lâcheté ? Partout sur la mappemonde, et contre toute attente, se creusent ou renaissent de nouvelles et d'antiques frontières. Telle est la réalité. En bon Européen, je choisis de célébrer ce que d'autres déplorent : la frontière comme vaccin contre l'épidémie des murs, remède à l'indifférence et sauvegarde du vivant. D'où ce Manifeste à rebrousse-poil, qui étonne et détonne, mais qui, déchiffrant notre passé, ose faire face à l'avenir.»
DEBRAY, Régis, Eloge des frontières. Ed. Gallimard (2010).
Dans le texte Montagnes mythiques : Les Tumuc Humac , paru dans Les Cahiers d’Outre-mer, Jean-Marcel Hurault, ingénieur géographe en chef à l'Institut géographique national (IGN) et cartographe de la Guyane, dénonce cette tradition, héritée de Strabon à considérer systématiquement les montagnes comme des frontières naturelles :
« Les cartes anciennes comportent une grave erreur dans la représentation des montagnes, due à une conception erronée de leur genèse et de leur place dans les paysages géographiques. La continuité des chaînes de montagnes était un des dogmes de l’antiquité classique. On se représentait que les montagnes structuraient le globe terrestre comme le squelette soutient le corps humain.
Cette idée a été exprimée en 1754 par Elie Bertrand « Ces montagnes servent à affermir la terre par des rochers dont elles sont composées ». La même conception est exprimée par l’Encyclopédie (1765) :
« Les naturalistes doivent regarder les montagnes sur le globe, comme l’anatomiste regarde les côtes et les os dans la charpente du corps de l’animal ». Les chaînes de montagnes sont également assimilées aux vaisseaux sanguins et au système nerveux. Philippe Buache dans son mémoire de 1752 a défini la notion de bassin fluvial, il affirmait que « Toute ligne de partage des eaux est nécessairement une chaîne de montagnes ».
HURAULT, Jean-Marcel, Les Cahiers d’Outre-mer.
Dans les années 1947 à 1962 pour Jean-Marcel Hurault, dresser la carte actuelle de la Guyane ne fut pas une tâche facile.
La première carte dressée par Sanson d’Abbeville en 1656 montre l’existence de curieuses chaînes de montagnes sur le pourtant bien nommé « Plateau des Guyanes » qui comprend le Guyana, le Surinam, la Guyane française, l’état de l’Amapà au Brésil ainsi qu’une bonne partie de la forêt amazonienne.
Quelques années auparavant, Henri Coudreau avait été chargé par le gouvernement français d’explorer les fleuves Maroni (au nord), la zone contestée (au sud) et l’espace qui sépare ces deux fleuves, situé en pleine forêt en empruntant le « Chemin des Emerillons », sorte de piste, portant le nom de la tribu de la région, marquée par la présence non des mythiques montagnes des Tumuc Humac, mais par des collines dominées par quelques pains de sucre.
Résultat : la frontière sud n'est pas limitée par une chaîne de montagnes, (dommage pour les mythiques monts Tumuc Humac qui ont tant fait rêvé les explorateurs) mais par une série de pains de sucre, dont le plus haut culmine à 850m dans le massif du Mitaraka. Cette frontière a définitivement été fixée en 1950. A partir de 1955, une commission mixte franco-brésilienne de délimitation de la frontière se réunit régulièrement et la délimitation s'est terminée en 1962 avec la fin de l'implantation des sept bornes.
Pour la Guyane française, la délimitation des frontières avec le Brésil au sud et avec le Surinam au nord résulte d’une suite d’incompréhensions, de rivalités, de négociations.
Le « point de trijonction » marque en pleine forêt la limite des trois états.
L’actualité de la récente construction du pont sur l’Oyapock est l’occasion de se replonger dans cette histoire complexe des limites et des frontières.
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