La Guyane, terre d'aventures

Jean Galmot

Jean Galmot« Je jure de rendre la liberté à la Guyane. Je jure de rendre aux citoyens de la Guyane les droits civils et politiques, dont ils sont privés depuis deux ans. Je jure de lutter jusqu’à mon dernier souffle, jusqu’à la dernière goutte de mon sang, pour affranchir mes frères noirs de l’esclavage politique. Je jure d’abolir la toute puissance d’une administration qui met la force armée au service de l’illégalité, organise les fraudes électorales et qui, les jours d’élections, terrorise par l’assassinat et l’incendie. Elle qui oblige les fonctionnaires à la besogne d’agents électoraux, prend des otages et emprisonne les meilleurs parmi les enfants du peuple et qui, enfin, gouverne par des décrets et des arrêtés supprimant les droits sociaux de l’ouvrier. Je jure de mettre fin au régime économique qui transforme la Guyane, pays de mines d’or, pays aux richesses fabuleuses, en une terre de désolation, de souffrance et de misère. Je demande à Dieu de mourir en combattant pour le salut de ma patrie, la Guyane immortelle. J’ai signé ce serment avec mon sang ». Ce document a été écrit par Jean Galmot, député de la Guyane, le 15 mars 1924.

Mais son nom ne sera vraiment connu, du grand  public, que par l’article paru dans le Petit Niçois du 13 mars 1904, à propos de l’affaire Dreyfus.

Ancien précepteur venu au journalisme, dreyfusard convaincu, ce jeune homme de vingt cinq ans apportera à la révision du procès de « l’innocent de l’île du Diable », des informations patiemment recueillies, pendant les deux ans que durera son enquête personnelle. Elles prouvaient que Dreyfus n’avait jamais eu de rapport avec des services de renseignements de l’Allemagne.

Né le 1er juin 1879 à Monpazier, en Dordogne, et ayant cinq frères et sœurs, Jean Galmot, dont le père est instituteur, réussit de brillantes études et est admis très jeune, à l’Ecole Normale Supérieure. A vingt ans, il parle couramment quatre langues étrangères : allemand, anglais, italien et espagnol. Déjà, la soif de l’aventure l’étreint et il abandonne le professorat pour occuper un poste de précepteur dans les Vosges d’abord, puis en Italie. Il entrera ensuite au Petit Niçois, comme dépêchier et ne tardera pas à publier son premier livre Nanette Escartefigue, histoire de brigands. Les salons mondains de la Côte d’Azur lui sont ouverts. Il y fait la connaissance d’une jeune Américaine, née à Paris et arrivant de Russie, où son père y était consul des Etats-Unis. C’est le coup de foudre réciproque.

Le mariage n’empêchera pas Jean Galmot de fréquenter les salles de jeux et tous les lieux où l’on s’amuse. Mais son beau-père, qui a les pieds sur terre, le charge de se rendre en Guyane, où il possède un placer (concession pour l’exploitation de l’or). Jean Galmot s’embarque seul pour Cayenne. De là, en pirogue, il gagnera le placer « Elysée », mais ne s’y attardera pas, n’y trouvant, semble-t-il, aucun intérêt. Par contre, ayant été chargé à cette occasion d’une mission par Millès-Lacroix, Ministre des Colonies, il explore le bassin de la Mana. Rentré en France, il fait plusieurs conférences sur la Guyane, ce qui lui vaut d’être admis à la Société de Géographie, ainsi qu’à celle des ingénieurs coloniaux.

Mais le virus s’est incrusté en lui. On dit alors, en Guyane, que l’intéressé a bu du « bouillon d’awara » (l’Awara ou aouara, « Astrocaryum vulgare », est une sorte de palmier oléagineux). Galmot y retourne et il est tour à tour orpailleur, balatiste (forestier exploitant l’arbre appelé balata), planteur, puis fondé de pouvoir de la Maison Chiris, qui a ouvert un comptoir à Cayenne.

En 1917, Galmot s’installe à son compte, et crée des comptoirs aux Antilles, à la Réunion, à Panama. Bientôt, plus de quarante bateaux frappés à son pavillon sillonnent les mers. Il ravitaille la France en blé provenant d’Argentine, en café, en cacao, en rhum, en balata et en or. Par ailleurs, il monte plusieurs usines d’essence de bois de rose et son inlassable activité s’étend à l’aviation, au cinéma, au journalisme…

Son extraordinaire personnalité et son indépendance gênent ceux qui évoluent dans le monde des affaires et qui vont commencer à parsemer son chemin d’embûches. Tous les moyens leur sont bons pour tenter d’anéantir « l’homme de la Guyane », dont la concurrence devient de plus en plus dangereuse. Attaqué de toutes parts, Galmot passe à la contre-offensive, il se présente à la députation et est élu le 30 novembre 1919. Ses détracteurs ne désarment pas. « L’affaire des rhums » éclate. On l’accuse, en effet, d’avoir accaparé le commerce des rhums réquisitionnés par l’Armée. Le 31 mars 1921, la Chambre des Députés lève l’immunité parlementaire et, le lendemain, Galmot est arrêté à Paris. En prison, il terminera l’ouvrage qu’il a commencé et qui s’intitule Un mort vivait parmi nous. Il garde confiance et, en janvier 1922, il est remis en liberté provisoire, mais il est ruiné…

Le 17 décembre 1923, s’ouvre le procès. Galmot est condamné à un an de prison avec sursis et  10 000 francs d’amende. De plus, il est privé de ses droits civiques pendant cinq ans.

En 1928, il retourne en Guyane, avec la ferme intention de se représenter aux élections. Mais, le 6 août, il meut mystérieusement empoisonné… La fureur s’empare alors de la population. Il faut venger « Papa Galmot » ! Trois amis de Gober, le Maire de Cayenne (l’homme qui a juré la perte de Galmot) sont lynchés dans la rue. Il s’agit de Bougarel, Laroze et Clément. Deux autres, Jubel et Tébia, sont assassinés chez eux.

La veille de sa mort, Galmot, tordu de douleurs, aurait déclaré au docteur Rivierez, que sa bonne, Adrienne, l’avait empoisonné, (c’est ce que confirmera d’ailleurs l’autopsie). Adrienne étant la nièce de Lama, « gobériste » notoire, on en déduisit que les adversaires politiques de Jean Galmot l’avaient tué. Le procès engagé traînera en longueur et la lumière ne sera jamais faite.

Chargé de procéder à une contre-expertise, le directeur du laboratoire toxicologique de Paris, constatera que le corps qu’on lui a remis, ne possède plus de cœur…

« Mon cœur ne vous quittera jamais ! », avait déclaré Galmot à ses amis de Guyane. Cette prédiction s’est réalisée…

La vie de Jean Galmot a inspiré le roman de Blaise Cendras Rhum.

Article rédigé à partir de l’ouvrage de René Ricate De l’île du diable aux Tumuc-Humac, La Pensée Universelle, 1978.

 

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